Interview de Marc Delcourt, PDG de Global Bioenergies
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette nouvelle molécule, l’acide prénique ?
Marc Delcourt : « Nous produisons de l’isobutène, molécule habituellement issue du pétrole, à partir de ressources végétales pour le marché des cosmétiques, des biocarburants, de la chimie fine… Or, un intermédiaire à 5 carbones de la voie de synthèse de l’isobutène, l’acide prénique, présente également un intérêt pour l’industrie. On produit déjà la molécule à l’échelle de la tonne, on sait la purifier… on fait savoir ce nouveau potentiel aux industriels pour mesurer leur engouement. Certains grands groupes de la chimie des C5, qui englobe l’ensemble des molécules construites à partir de briques chimiques à 5 carbones, nous ont fait part de leur intérêt. Nous prévoyons une campagne d’échantillonnage au printemps ».
L’acide prénique vous ouvre de nouveaux marchés ?
Marc Delcourt : « Exactement. C’est une opportunité de diversification de notre portefeuille de produits. On ne sait pas encore dans quels domaines. Peut-être les arômes, les parfums, peut-être les colles, les peintures… L’acide prénique peut être dérivé en une multitude de composés aujourd’hui issus du pétrole ».
Quel sera le modèle économique ?
Marc Delcourt : « L’idée, c’est de vendre la molécule biosourcée aux industriels. Pour l’isobutène, que nous allons produire dans une nouvelle unité en construction à Pomacle (Marne), notre premier modèle est de le convertir en isododécane, et de vendre ce dérivé aux industriels de la cosmétique et des carburants. Mais nous n’excluons pas de le vendre tel quel, sous forme de gaz, à des producteurs, de caoutchoucs par exemple … ».
Pouvez-vous expliquer le procédé biosourcé que vous utilisez ?
Marc Delcourt : « Des bactéries, génétiquement modifiées, produisent la molécule attendue, en l’occurrence l’acide prénique, par fermentation dans un milieu de culture contenant du sucre de betterave, du glucose de blé, de maïs. Demain, il y aura les sucres de 2e génération, à partir de ressources ligno-cellulosiques, la paille, les copeaux de bois… On collabore avec des acteurs du domaine qui obtiennent des mises à l’échelle, mais cela prend du temps et des capitaux ».
L’intérêt des industriels augmente-il avec le renchérissement du pétrole ?
Marc Delcourt : « On est encore loin du point d’équilibre entre le renouvelable et le pétrolier. Même à 100$ le baril, le pétrole est très peu cher. L’objectif est donc de viser des marchés où il y a un premium de prix, c’est-à-dire un avantage compétitif à proposer des produits d’origine renouvelable, la cosmétique, les arômes, les parfums… marchés dans lesquels les consommateurs sont en forte attente de naturalité »
Quel intérêt écologique présente votre solution ?
Marc Delcourt : « D’une façon générale, les molécules biosourcées produisent moins de CO2 que leur équivalent pétrolier. Le pétrole, c’est un voyage à sens unique du sous-sol vers l’atmosphère. On raffine le pétrole, on l’utilise comme carburant, on en fait des plastiques… à la fin, il sera brûlé soit dans les moteurs soit dans les déchetteries. Une tonne de pétrole aboutit à 3,5 tonnes de CO2 rejeté dans l’atmosphère. Dans le cadre de la biologie industrielle, c’est un cycle : les plantes captent le CO2 atmosphérique, le transforment en sucre qu’on utilise pour faire le produit voulu, lequel sera brûlé à terme et génèrera du CO2 dans l’atmosphère qui sera capté par la génération suivante de plantes… ce n’est pas parfait parce qu’il faut des engrais et des tracteurs : L’économie n’est pas de 100% mais en règle générale de 50 à 80% d’économies. Le chiffre qui tient la corde, c’est 3 fois moins de CO2 émis par rapport aux équivalents pétroliers ».