Une équipe du laboratoire Généthon a conçu un vecteur de thérapie génique optimisé, issu d’une approche d’intelligence artificielle, capable de cibler spécifiquement le tissu musculaire. Cette innovation, testée sur des modèles de myopathie de Duchenne et de myopathies des ceintures, ouvre des perspectives prometteuses pour améliorer l’efficacité et la sécurité de traitement des maladies neuromusculaires. La méthode pourrait également s’appliquer à des thérapies géniques visant d’autres organes.
En thérapie génique, les vecteurs les plus efficaces pour transporter le gène thérapeutique et les séquences de régulation associées sont des virus dont on a supprimé le pouvoir pathogène. Dans le cas des maladies neuromusculaires, les virus adéno-associés (AAV) naturels sont les plus utilisés. La capside de ces virus (photo ci-dessus), l’enveloppe qui porte leur matériel génétique, est constituée de protéines qui jouent un rôle majeur dans la spécificité des vecteurs, en interagissant avec les récepteurs de certaines cellules cibles. Mais la spécificité des AAV naturels n’est pas totale. Ainsi, pour les maladies neuromusculaires, des doses très élevées de vecteurs sont nécessaires pour parvenir à toucher efficacement les muscles et des quantités importantes de vecteurs s’accumulent dans le foie, occasionnant un risque d’atteinte hépatique.
L’équipe « Dystrophies musculaires progressives » du laboratoire Généthon, dirigée par Isabelle Richard, a développé une méthode innovante qui utilise l’intelligence artificielle pour concevoir des vecteurs de thérapie génique ciblant plus spécifiquement les muscles squelettiques, améliorant ainsi l’efficacité et la sécurité du traitement.
Ces travaux ont fait l’objet d’une publication le 11 septembre 2024 dans Nature Communications et ont été en partie présentés par le chercheur Ai Vu Hong lors de la conférence « Optimiser les thérapies innovantes : Ciblage thérapeutique et stratégies combinatoires », co-organisée par Genopole et l’Université d’Évry Paris-Saclay le 2 juillet 2024.
LICA1 : un vecteur prometteur conçu par intelligence artificielle
L’innovation repose sur la modification de la capside pour qu’elle reconnaisse spécifiquement un récepteur, l’intégrine αVβ6, présent en abondance à la surface des cellules musculaires.
La méthode de conception protéique in silico appliquée par les scientifiques repose sur la physique : un site caractéristique d’une protéine de la capside est entièrement remodelé en y incluant un nouveau motif de liaison au récepteur αVβ6 et en modifiant les acides aminés qui l’entourent (cf. image à droite).
Ces remaniements améliorent également la stabilité et le repliement des protéines, et donc la stabilité de la particule virale vectrice.
Parmi les six variants conçus virtuellement, puis produits et étudiés expérimentalement, LICA1 s’est révélé particulièrement prometteur.
L’équipe de recherche a testé ce vecteur in vitro sur des cellules musculaires différenciées humaines puis sur des modèles animaux de myopathie de Duchenne et de myopathie des ceintures. Les résultats ont montré qu’il était capable de délivrer et exprimer efficacement les transgènes thérapeutiques.
20 fois moins de vecteurs et plus d’efficacité que les AAV naturels sur des modèles de dystrophies musculaires
Plus précisément, le vecteur LICA1 présente une efficacité de transduction musculaire significativement supérieure à celle des AAV naturels, même à des doses 20 fois moindres que les doses généralement requises. Dans des modèles de souris atteintes de dystrophie musculaire, LICA1 a permis de transduire plus de 80 % des fibres musculaires, entraînant une amélioration notable de la fonction musculaire et une réduction des biomarqueurs de lésions musculaires de 57,5 % (modèle de myopathie de Duchenne) à 67,2 % (modèle de myopathie des ceintures). Il a montré de plus le rapport de transduction muscle/foie le plus élevé parmi tous les AAV testés, minimisant ainsi les effets indésirables liés à l’accumulation dans le foie. Cette spécificité accrue pour le muscle squelettique a été confirmée par des analyses histologiques et transcriptomiques, soulignant la capacité de LICA1 à restaurer les traits dystrophiques, les profils d’expression génique dysfonctionnels et la fonction musculaire dans les modèles de dystrophie.
Une approche validée, applicable à d’autres organes et maladies
Les résultats de cette étude suggèrent que LICA1 pourrait améliorer la thérapie génique des dystrophies musculaires en offrant une option plus efficace et plus sûre. Il pourrait contribuer à la réduction des doses de traitement, enjeu majeur pour minimiser les risques d’effets secondaires ainsi que le coût des traitements, et rendre les thérapies géniques plus accessibles aux patients myopathes.
Plus généralement, les travaux de l’équipe de Généthon soulignent le potentiel de l’intelligence artificielle combinée à l’expertise en ingénierie des vecteurs viraux pour améliorer la spécificité, l’efficacité et la sécurité des traitements de thérapie génique.
La méthodologie de sélection d’un récepteur pertinent puis conception par intelligence artificielle développée par les chercheurs évryens est applicable à d’autres organes et types de maladies.